SON HISTOIRE

La Bleue mixte

Introduction

Les premières traces écrites d’une stratégie de sélection bovine trouvent leurs origines dans les monastères des abbayes au Moyen-Age. Durant cette période, cette sélection ne peut se faire que sur les critères extérieurs. Dans le cas de la Bleue Mixte dans le Nord de la France, les abbayes de Liessies et de Maroilles ont joué un rôle prépondérant.

La sélection bovine va connaitre un bouleversement pendant la révolution industrielle et en particulier en Angleterre. Les progrès techniques, les avancées scientifiques développent les stratégies d’amélioration des races bovines.

Le bétail « Bleu indigène » de nos régions qu’on utilisait pour le traditionnel triptyque (lait, viande, trait) va connaitre tout le long de son histoire de profondes modifications en plusieurs étapes.

1840-1885

La Durhamisation

DU BÉTAIL BLEU INDIGÈNE

1840-1880

Vers les années 1840-1850, des agronomes et des présidents de syndicats d’élevage visitent les fermes en Angleterre et sont stupéfaits de la qualité du cheptel anglais. Parallèlement, en Belgique, on utilise la race Hollandaise pour améliorer la production laitière. Cet engouement chez les éleveurs pour la race Shorthorn[1] encouragé par les syndicats d’éleveurs en Belgique et en France, entraîne un processus de « Durhamisation » des cheptels sur trente ans (1850-1880).

1880-1885

Vers 1880-1885, les éleveurs constatent que les améliorations de la musculature et de la précocité des bovins grâce au Durham dégradent la qualité de la graisse et les rendements laitiers. On cesse alors les croisements avec la race anglaise. On tente alors des corrections par la race Hollandaise.

On s’oriente alors avec un bétail « durham-hollandais-indigène » qui sera la base génétique de la Bleue Mixte.

[1] La « Shorthorn » est une race bovine britannique aussi appelée « Durham ».


1890-1945

L'affirmation

DE LA BLEUE MIXTE

1890

L’année 1890 est un tournant dans l’histoire de la Bleue Mixte. La Belgique met en place la Société Nationale pour l’amélioration des races bovines. C’est aussi à cette époque que des éleveurs de Tirlemont, de Waremme et d’Hesbaye isolent un bétail « bleu » remarquable sans les défauts du Durham.

C’est surement à partir de cette époque (1895) que la Bleue Mixte s’installe durablement dans les provinces belges d’où ses différents noms : « race Hennuyère » ou « race du Hainaut », « race de Condroz-Famenne », « race de Mons », « Bleue de Tirlemont », et en France : « Bleue de Bavay », « Maubeugeoise ».

1896

En 1896, le Herd-Book de la « race de Hesbaye » est créé. Les concours cantonaux et provinciaux se développent, encouragés par les syndicats provinciaux et les politiques publiques. Les bovins à la robe bleue et blanche sont de plus en plus présents de part et d’autre de la frontière.

On peut souligner qu’à ce stade, certaines régions se spécialisent déjà dans la viande ou le lait. La région de Condroz (Ciney) s’oriente vers la spéculation viande alors que les régions d’Ath et Tirlemont semblent s’appuyer sur la spéculation laitière. Ce sont les échanges de taureaux reproducteurs entre ces trois régions qui entraineront l’affirmation du caractère mixte de la race jusqu’à la Première Guerre Mondiale.

Cette guerre décime le cheptel « bleu » et réduit à néant les progrès de la race. Quelques bons taureaux continuèrent à être utilisés en Belgique et permirent la reconstitution de la race. En France, on reconstitue les cheptels tant bien que mal. Si bien que dès la seconde moitié des années 1920, la Bleue réapparait (moins de 5000 têtes en 1918, 50 000 dans les années 1930 en France). Le Herd-Book de la race Bleue du Nord est créé en 1923 à Bavay. Les concours exclusivement de race Bleue apparaissent à Ciney et à Ath. En 1934, la Bleue du Nord est remarquée au Salon Agricole de Paris (Concours laitier-beurrier).

1940

Alors que la Bleue du Nord est en passe de devenir la « Normande des régions froides », la Seconde Guerre Mondiale enterre tous les espoirs de progression de la race.

1945-1980

Le paradoxe

DE L'APRÈS-GUERRE

En France

Suite au rapport « Quittet »[1] de 1943, les petites races régionales sont interdites au profit de grandes races françaises. Alors que la Bleue du Nord avait conquis de nombreux départements français limitrophes de la Belgique, elle se retrouve cantonnée à l’Avesnois. Le Herd-Book de la race Bleue du Nord est fermé en 1953. La résistance s’organise autour d’éleveurs défenseurs de la race. Sans accompagnement technique ou financier, la race survit en France par l’importation de doses clandestines et par l’implication de quelques personnes comme Paul Hollebecq, président de l’association des éleveurs de la race mixte Bleue du Nord à partir de 1960.

[1] Politique de réduction du nombre de races en France (1945).


En Belgique

On définit des zones raciales. Cela enclenche progressivement un changement de nom. On parle de race dite « de Moyenne et Haute Belgique ». Cependant, là aussi la Bleue Mixte se retrouve minoritaire (alors que la moitié du cheptel national est composée de Bleues) pour trois raisons principales. Avec l’amélioration de l’insémination artificielle et des soins vétérinaires, de l’isolation du gène culard corrélé à l’instauration du marché commun européen, l’élevage bovin de Bleues se tourne principalement vers la spéculation « viande ». En 1968, le Herd-Book de la « race de Moyenne et Haute Belgique » est créé puis rebaptisé en 1973 « race Blanc Bleu Belge ». La scission de la race Blanc Bleu Belge en deux rameaux (mixte et viandeux) intervient l’année d’après. Le rameau mixte reste largement minoritaire.

1980 - Aujourd'hui

Le renouveau

DE LA RACE ?

À partir des années 1980, la situation s’améliore en France. La Bleue du Nord sort de la période la plus noire de son histoire. Cette amélioration trouve sa source par la reconnaissance officielle par le Ministre de l’Agriculture de la race « Bleue du Nord » en 1982 et par l’autorisation accordée à l’association des éleveurs de « Bleue du Nord » d’entreprendre la sélection en 1983. En 1986, l’Union Bleue du Nord est créée.

La situation fragile de la race « Bleue Mixte » des deux côtés de la frontière a pour conséquence positive le rapprochement des structures liées à l’élevage de Belgique et de France. En 1985, un comité technique franco-belge est créé pour la promotion de la race.

C’est à cette période (1987) que fusionnent côté belge, les centres d’insémination provinciaux en deux pôles : Linalux (Liège, Namur, Luxembourg) et Haliba (Hainaut, Limbourg, Brabant) ce qui permet de mieux maitriser le patrimoine génétique de la race.

La période 1990-2010 reflète un processus de renforcement des structures d’accompagnement transfrontalières des associations d’éleveurs de « Bleue Mixte ». Des politiques de préservation des races menacées (mesures agro-environnementales de Protection des races menacées dites « PRM » de 1900 à aujourd’hui) permettent de soutenir les efforts des éleveurs pour ces races à petits effectifs. En France, on attribue le code « race 52 » à la Bleue du Nord. En Belgique, les APEDB (Associations Provinciales des Eleveurs et Détenteurs de Bovins) fusionnent dans la même logique que les centres d’insémination. L’aboutissement de cette logique se traduit par la création de l’Association Wallonne de l’Elevage (AWE) en 2002, qui devient Elevéo ASBL en 2019.

Enfin, la coopération transfrontalière se poursuit avec le programme INTERREG (IV et V) et les mises en œuvre des projets BlueSel (2008-2013) et BlueSter (2018-2022).

Conclusion

À travers cette synthèse, on constate que l’histoire de la race bovine « Bleue Mixte » fut mouvementée. En premier lieu, la diversité des noms qu’elle a porté dans son histoire peut à première vue montrer une forme d’instabilité mais révèle dans les faits des ancrages territoriaux profonds. On peut considérer qu’après la vague « Durham » et les améliorations faites grâce à la race Hollandaise, la Bleue Mixte trouve son origine dans le croisement des races du Condroz, de Famenne, de Hesbaye et de l’Ardennaise. De ces croisements émerge un bétail à deux fins remarquables portant le nom de « grand plat blanc d’Ath » et « grand Bleu de Tirlemont » vers la fin du XIXème siècle et plus généralement appelé race de Moyenne et Haute Belgique.

En second lieu, l’histoire de la Bleue fut aussi mouvementée par les tumultes de l’Histoire, mais aussi par les différents choix d’orientation des politiques agricoles dominées par l’idée de constituer des races bovines hyper spécialisées inscrites dans le paradigme du libéralisme économique et la logique de rentabilité et de production. Ainsi, du côté français, on a considéré que les races régionales à petits effectifs n’étaient plus intéressantes jusqu’aux années 1980 alors qu’en Belgique on s’est tourné vers le Blanc-Bleu Belge extrême culard.

Aujourd’hui, dans un contexte économique de plus en plus volatile où les questions environnementale et sociétale deviennent centrales, la Bleue Mixte possède clairement des atouts (comme sa capacité à valoriser l’herbage ou sa rusticité). Elle doit cependant surmonter encore de nombreux obstacles. Elle doit avant tout sortir de l’anonymat. Deux difficultés se posent : elle est ancrée sur trois régions frontalières différentes (l’Avesnois – Hainaut pour la France, la Wallonie et la Flandre pour la Belgique) ; on la confond souvent avec la race Blanc Bleu Belge (d’un point de vue consommateur ou grand public). Il est nécessaire de promouvoir son association à un territoire ou un paysage, et l’accompagnement par des projets transfrontaliers européens s’avère ainsi justifié. Cette race a de l’avenir.

À ce jour, la priorité est la valorisation des produits issus de la Bleue Mixte. Le développement d’une gamme diversifiée de produits laitiers (dont le fromage « Pavé Bleu »), la volonté de co-construire une filière « viande » et d’ancrer la race dans son territoire historique en sont la clé.